Poissons et crustacés : L’aquaculture bio fait surface

Truite, bar, daurade, crevette impériale sont les principales espèces élevées en France selon les méthodes bio. Cette aquaculture, encore timide,...

Truite, bar, daurade, crevette impériale sont les principales espèces élevées en France selon les méthodes bio. Cette aquaculture, encore timide, compte environ 25 éleveurs. Venus d’ailleurs, saumon, tilapia, panga arrivent aussi sur nos étals, mais au total on ne dénombre pas plus de 15 espèces bio (0,1 % des volumes), sur la petite trentaine qu’on sait aujourd’hui élever dans le monde. C’est très peu à côté des 500 espèces comestibles offertes par la pêche !

D’après la FAO, l’aquaculture devra doubler d’ici 2030 pour satisfaire la consommation mondiale.

Aujourd’hui, l’aquaculture fournit la moitié des besoins en poissons contre 9 % en 1980. Et ce n’est qu’un début car on compte sur elle pour lutter contre la surpêche. D’après la FAO, l’aquaculture devra doubler d’ici 2030 pour satisfaire la consommation mondiale. Un vrai défi. Pourtant en France, cette activité diminue : “La production a baissé de 20 à 30 % en 10 ans”, constate Marine Levadoux du Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (Cipa). La raison ? Les contraintes de respect de l’environnement, toujours plus drastiques, découragent les éleveurs. Aucun nouveau site n’a été créé depuis 10 ans et les possibilités d’extension de ceux existants sont nulles. “Chaque nouveau projet suscite la montée au créneau des associations de riverains qui réussissent toujours à le faire échouer, regrette-t-elle. Pourtant, en France, beaucoup a été fait pour réduire l’impact sur l’environnement.”

Protéger le milieu

En bio, depuis juillet dernier, un règlement européen cadre la production aquacole bio, c’est-à-dire l’élevage. Destiné à remplacer peu à peu le règlement français datant de 2000, il sera totalement effectif en juillet 2013. D’ici là, les produits aquacoles porteront le logo AB ou l’Eurofeuille, ou encore les deux ensemble selon le ou les règlements suivis par l’élevage. Un des principes en bio est de réduire, si possible annuler, tout impact de l’élevage aquacole sur le milieu. Cela signifie aussi utiliser une alimentation qui ne pille pas les océans. Tout aussi importante, la recherche du bien-être animal limite le nombre d’individus par m3 de bassin. Par exemple, pas plus de 25 kg/m3 de truite bio contre 100 kg/m3 en classique. La bio vise à créer des conditions les plus proches possibles du naturel. En élevage classique, on peut suroxygéner le milieu pour accélérer la croissance des poissons, allonger “la durée du jour”, leur donner des antidépresseurs… On coupe même le nerf optique des crevettes pour qu’elles grossissent plus vite (épédonculation). Autant de méthodes qui sont écartées en bio.

Heureux comme un poisson…

Pour certains spécialistes, il faudrait plus de recherches pour connaître encore davantage la notion de bien-être du poisson et pouvoir améliorer le cahier des charges. La densité ne serait pas le seul paramètre intervenant. Le sujet est d’importance car le bien-être détermine aussi la rentabilité des unités de production : si les animaux sont heureux, ils grandissent mieux. Pour Françoise Médale, chercheuse à l’Inra de St-Pée-sur-Nivelle, au Pays Basque, beaucoup reste à faire pour améliorer les techniques d’élevage en bio comme en classique car chaque espèce de poisson est différente, tout comme dans le règne terrestre : “certains s’alimentent à la surface de l’eau, d’autres au fond et d’autres encore entre les deux. La préparation des aliments tient compte de ces paramètres car la nourriture doit à la fois être bien assimilée et ne pas polluer le milieu”. L’utilisation des protéines végétales est aussi un sujet complexe à aborder espèce par espèce. Par exemple, le saumon développe des entérites s’il ingurgite des protéines de soja, la daurade n’a pas ce problème…

Fruits de mer bio

Le nouveau règlement encadre aussi la production bio des algues, des mollusques et bivalves, palourdes, huîtres, coques… et autres moules. Pour tous ces fruits de mer qui filtrent l’eau et ne sont pas nourris directement, l’accent est mis sur la pureté de l’eau et la préservation des sites de production avec la mise en place d’une gestion durable. Sur les étals français, on trouve des moules bio de la baie irlandaise de Kenmare, une zone spéciale de conservation (ZSC). Celle-ci est classée par l’Union Européenne en eaux de catégorie A, soit les plus pures. Les moules grandissent sur des cordes totalement recyclées et ne générant pas de déchets. Pour les huîtres, des éleveurs sont en cours de certification bio dans le bassin de Marennes Oléron, mais la profession est aujourd’hui en grande difficulté, due au problème de mortalité, freinant l’avancée du bio.

Crevettes : la rançon du succès

La “crevetticulture” n’a pas bonne réputation et pour cause ! Depuis les années 1970, elle s’est beaucoup développée sur toute la ceinture tropicale de façon plus ou moins intensive : les “rendements” vont jusqu’à plusieurs tonnes de crevettes par hectare. Bien gérée, cette activité offre un revenu très supérieur à beaucoup d’autres dans des pays où la vie est difficile. Dans le Sud-Est asiatique, elle est en plein essor, répondant à une demande mondiale croissante. Résultat : la crevette a envahi les côtes littorales, prenant le pas sur toute autre activité, et cela, hélas de façon assez anarchique. La productivité s’est accrue, et ses bénéfices juteux attirent de “gros poissons” dans une logique de spéculation, au détriment des populations locales. Les dégâts sont énormes : salinisation ou épuisement des nappes phréatiques, intrusion d’eau salée dans les cultures, rejet dans le milieu de médicaments, de matière organique car la crevette gaspille une partie de son alimentation… L’érosion côtière s’est accélérée au détriment des mangroves, écosystème riche, complexe et indispensable, qui disparaît. La mangrove abrite une faune multiple, poissons, oiseaux… Elle protège les côtes des cyclones et tempêtes, diminuant les risques d’inondations grâce aux racines des palétuviers qui atténuent la force des vagues. Par le passé, la pisciculture s’intégrait aux systèmes vivriers d’Asie, recyclant beaucoup de déchets domestiques. De nos jours, elle consomme beaucoup d’énergie, pollue quand elle n’arrive pas dans notre assiette gorgée de résidus d’antibiotiques !

Nouvelle Calédonie, Thaïlande…

Face au désastre, le défi de la démarche bio est de préserver l’environnement en assurant des conditions de vie décentes aux populations. Bonne nouvelle : encore modestes, des signes de changement s’amorcent dans certains pays. En Nouvelle Calédonie, une filière durable s’appuie sur la réduction des densités, la suppression des antibiotiques ainsi que des engrais chimiques destinés à booster l’écosystème qui nourrit la crevette. La durée d’élevage est plus longue, tout comme le temps de repos des bassins pour que la matière organique minéralise et s’élimine. En Thaïlande, les élevages à l’intérieur des terres sont désormais interdits pour freiner la destruction de terres agricoles et les fermes doivent s’installer en dehors de la mangrove. Le rejet direct des effluents dans le milieu naturel est interdit. Ceux-ci sont stockés en bassin, mais rarement traités en raison du coût de cette opération. Aujourd’hui, plusieurs groupes d’éleveurs produisent un peu plus de 1 000 tonnes bio. Le pionnier est la ferme Sureerath, certifiée Naturland depuis 2008 qui élève les crevettes durant 6 à 7 mois contre 3 ou 4 maximum en classique.

Bio et responsable à Madagascar

La crevette et le saumon sont, de loin, les espèces les plus produites et les plus consommées en bio. Très recherchée, la crevette bio a jeté l’ancre dans plusieurs pays comme en Équateur ou à Madagascar… C’est sur cette île que se trouve Overseas Seafood Operations (Oso) dont la production, très vendue en France et certifiée par Ecocert, s’étend sur 425 hectares de bassins. En plus du label bio sur la partie élevage, Oso met en place des pratiques de pêche responsables. L’entreprise est engagée auprès d’Organisations non gouvernementales pour protéger les littoraux et les zones de mangroves, développer les systèmes de chalutage à faible impact, réduire les captures annexes… L’enjeu est aussi de trouver des antioxydants naturels substituts au métabisulfite utilisé sur les crevettes pour qu’elles ne noircissent pas. Oso garantit que son activité améliore l’intégration sociale des populations malgaches par des “plans de développement des communautés” incluant centres scolaires et programmes de formation des adultes dans la région du Parc National des Tsingy de l’Ankarana, site de l’entreprise. À l’échelle du pays, en partenariat avec les autorités locales, d’autres actions voient le jour : construction et gestion d’infrastructures sanitaires, médicales et scolaires.

Depuis les années 1970, la “crevetticulture” s’est beaucoup développée sur toute la ceinture tropicale de façon plus ou moins intensive.

Des crevettes bio charentaises

Plus près, à Marennes Oléron, près de 40 tonnes de crevettes sont produites chaque année dont 25 à 30 % dûment certifiées bio. “Le cahier des charges est tel que toute la production régionale est de haute qualité, dans le respect de l’environnement et qu’elle satisfait aux règles bio. Reste à l’éleveur le choix de faire la demande de certification ou non”, explique Anne-Lise Bouquet du Centre Régional d’Expérimentations et Applications Aquacoles (Creaa). La crevette charentaise est une “Marsupenaeus japonicus” ou crevette impériale à la chair ferme et savoureuse, élevée à faible densité. Elle doit être vendue vivante avec un poids moyen minimum de 20 g. Elle bénéficie d’une démarche qualité et de l’Identifiant Régional “Signé Poitou-Charentes”.

Trois niveaux d’intensification

L’histoire de la crevette charentaise a démarré dans les années 1980 suite à des travaux prouvant sa capacité d’acclimatation à la région. Ici, les conditions estivales sont proches de celles de la Thaïlande ! Une vingtaine de conchyliculteurs l’élève ainsi dans les marais, souvent en association avec l’huître “pousse en claire”. Les deux cohabitent en harmonie : le naturel fouisseur de la crevette met en suspension des minéraux présents dans les sédiments, qui vont nourrir le phytoplancton dont les huîtres vont se repaître. Pendant le grossissement – de mai à octobre –, les crevettes sont de 2 à 4 par m². Les rendements ne dépassent pas 500 kg par hectare et l’environnement n’est pas mis en péril. Trois niveaux d’intensification existent en fonction de la densité d’élevage. Le plus naturel (moins de 1 crevette/m²) est de laisser cet animal carnivore se nourrir des proies présentes dans le milieu. La méthode intermédiaire, avec 1 à 2 crevettes par m², consiste à apporter un fertilisant (matière organique) au milieu, pour stimuler le phytoplancton qui, entrant dans la chaîne alimentaire, alimente la crevette. Enfin, au niveau le plus intensif, de 2 à 4 par m², les crevettes sont directement nourries avec un aliment conçu pour elles. En Poitou-Charentes, les éleveurs sont très prudents avec ce dernier niveau car le milieu peut se bloquer de façon irréversible en cas de surabondance de matière organique générée. Aujourd’hui, cette toute petite filière émerge, mais la mise en marché reste délicate. À environ 25 €/kg, prix départ, près des deux-tiers de la production partent vers l’Espagne, pays de connaisseurs. Hormis sur place où elle est de plus en plus appréciée, les Français, peu habitués aux crevettes vivantes, restent méfiants. Les poissonniers se montrent timorés car, ne survivant guère au-delà de 48 heures, la vente doit être éclair. Autre handicap, la production se termine avec les premières gelées, et exclut la période de fin d’année, propice aux achats de crevettes. “Vendre la crevette vivante permet néanmoins de se distinguer de celle, moins chère, originaire des zones tropicales”, argumente Anne-Lise Bouquet. En revanche, bio ou non, lorsqu’elle est cuite, la crevette est toujours traitée au métabisulfite. En Charente, nul besoin de cet additif.

Martine Cosserat

Thomas Jamet : des crevettes bio en Charente

Passionné, Thomas Jamet, du Gaec de l’Huître Impériale, a étudié l’aquaculture avant de s’installer comme conchyliculteur bio. Il croit tant à la crevette charentaise qu’il a créé une écloserie bio, la 2e en France. Il y fait naître des bébés crevettes bio pour les élever ensuite. “Mon objectif est de fournir de plus en plus d’éleveurs spécialisés dans le grossissement”, confie-t-il. La difficulté se situe à l’écloserie où la jeune crevette va séjourner environ 35 jours. Au départ, les larves sont nourries 4 à 5 jours avec des algues et deviennent ensuite carnivores. “En bio, aucun produit de traitement curatif n’est possible y compris pour l’eau, il faut adapter les méthodes, réduire beaucoup la densité, et maintenir une qualité d’eau très pure pour contrôler les pathogènes”, explique Thomas Jamet. Il réalise beaucoup plus de manipulations et de rinçages qu’en élevage classique où, par exemple, on utilise du formol pour désinfecter le milieu, y compris de façon préventive et ce, bien que la crevette ne vive pas plus de 6 mois avant d’arriver sur nos tables ! Dans l’écloserie bio, l a surveillance est extrême pour s’assurer du nombre suffisant de proies naturelles afin de nourrir les alevins et d’éviter qu’ils se dévorent entre eux. Pourvue d’une taille suffisante pour résister aux pathogènes, les petites crevettes sont placées dans les claires ostréicoles pour la phase de grossissement. Les claires sont des bassins peu profonds, creusés dans un sol argileux et alimentées par l’eau de mer renouvelée à chaque marée. À partir de cette étape, en Charente, il n’y a pas de différence entre bio et non bio. Cependant, à l’écloserie comme après, Thomas Jamet préfère travailler au maximum sur la présence des proies naturelles plutôt que d’utiliser un aliment même si ce dernier est certifié bio. Et ce, malgré l’absence de preuve pour affirmer que la qualité de ses crevettes est supérieure !

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