Vandana Shiva pour la liberté des semences

Physicienne, agroécologiste, altermondialiste, écoféministe et prix Nobel alternatif, l’indienne Vandana Shiva consacre sa vie à défendre la liberté des semences,...

vandanaPhysicienne, agroécologiste, altermondialiste, écoféministe et prix Nobel alternatif, l’indienne Vandana Shiva consacre sa vie à défendre la liberté des semences, la biodiversité, et le droit à une alimentation saine pour tous.

 

Vous appelez à rejoindre le Mouvement pour la liberté des semences et de l’alimentation…

 

Nous avons créé “Global Alliance for Seed Freedom” (l’alliance globale pour la liberté des semences) afin de lancer une campagne mondiale. Il est essentiel d’alerter les citoyens et les gouvernements partout dans le monde de la précarité de notre approvisionnement en semences – et par conséquent – de la précarité de notre sécurité alimentaire. Une quinzaine internationale d’information a eu lieu du 2 octobre – date d’anniversaire de la mort de Gandhi – au 16 octobre dernier, ponctuée par la journée mondiale de l’alimentation.

 

Pourquoi cette campagne ?

 

Il est temps de nous organiser au niveau planétaire et de concentrer nos énergies pour renforcer nos actions. Ensemble, agissons pour la liberté des semences, créons des banques de graines, déclarons des zones de semences libres et sans OGM. C’est un combat incessant qui remplit ma vie depuis 1987 : invitée à un séminaire sur les biotechnologies en France, en Haute-Savoie, j’ai pris conscience que le brevetage du vivant par les multinationales de l’agrochimie – soit cinq firmes géantes dont Monsanto – était en marche, et qu’il constituait un danger pour la survie des paysans, la souveraineté alimentaire, et pour la démocratie.

 

Cette prise de conscience a guidé votre parcours ?

 

C’était une urgence, et ça l’est toujours : j’y consacre toutes mes forces. De quel droit allait-on empêcher les paysans de produire eux-mêmes leurs semences ? Et pourquoi devraient-ils payer ce que la terre leur offrait gratuitement et qu’ils multipliaient et amélioraient depuis des siècles ? En fondant Navdanya, la première banque communautaire de graines il y a 25 ans, dans ma région natale, l’Uttarakhand au nord de l’Inde, j’ai voulu protéger la richesse immense des espèces et variétés locales en recourant aux pratiques de l’agriculture biologique. Nardanya, mot hindi, signifie “les neuf graines”, garanties de la souveraineté alimentaire, et symbolise aussi l’équilibre du cosmos.

 

Navdanya est au coeur de votre engagement…

 

Oui, mais ce n’est pas un sanctuaire de graines, c’est un lieu de libre-échange de semences, qui consiste à collecter tout ce patrimoine génétique ancestral auprès des paysans, à le multiplier, le répertorier, le renouveler, et le distribuer… Les paysans s’engagent aussi à reproduire et à donner une partie de la semence à d’autres paysans. Ces graines contiennent la mémoire de la terre, de nos ancêtres, de l’évolution, mémoire qui risque d’être effacée. Plus que jamais, elle est mise en danger à cause de l’avidité de quelques multinationales semencières et agrochimiques, qui veulent générer du profit avec les OGM brevetés, au détriment de la santé humaine.

 

Quel accueil a reçu cette initiative ?

Les paysans ont été bouleversés de constater que des variétés qu’ils avaient abandonnées pour des hybrides modernes ou des OGM, étaient très productives, grâce aussi à l’agriculture biologique, qui associe les cultures par exemple. Aujourd’hui, à la ferme de Navdanya, sur une vingtaine d’hectares, on multiplie plus de 600 variétés de plantes, dont 250 variétés de riz, 30 de blé, et diverses variétés de millet, légumineuses, oléagineux, légumes et des plantes médicinales. Ces graines sont adaptées à toutes sortes de climats, – à la sécheresse par exemple – et de sols. Ainsi, après le tsunami, nous avons pu venir en aide aux paysans du sud de l’Inde avec des semences de riz sélectionnées par nos soins et adaptés aux terres salinisées.

 

Des banques de graines ont essaimé…

 

À travers l’Inde, 110 banques de graines fonctionnent ainsi sur le libre-échange. Au total, le réseau regroupe 560 variétés de riz, 120 de blé… L’Inde possède une si grande biodiversité qu’elle a subi des nombreuses attaques de biopiraterie sur les végétaux et les savoirs locaux, comme sur le neem (margousier), le riz basmati, l’ancienne variété de blé Nap Hal pauvre en gluten… Je ne cesse de lutter contre ces pillages qui obligeraient les paysans indiens à payer des redevances pour utiliser leurs propres semences, issue de sélections, fruits de leur travail et celui de leurs ancêtres. Pour le riz basmati, le combat devant les tribunaux américains a duré 5 ans pour faire annuler le brevet déposé par la firme texane Ric Tec. Pour sauvegarder le neem en proie à plusieurs dizaines de brevets, nous avons mené une lutte de 10 ans.

 

La lutte pour protéger la liberté des semences est fondamentale ?

 

Elle a vraiment démarré lorsque je me suis rendu compte de la dévastation des campagnes qui a eu lieu au Penjab, à cause de la monoculture qui éliminait les insectes pollinisateurs et détruisaient nos sols, réduisant les paysans à la misère et l’exode rural. Avec la révolution verte, on nous a toujours dit que la monoculture nous assurerait la sécurité alimentaire mais je ne cesse de constater que c’est faux, et que la biodiversité, les semences locales et les pratiques agroécologiques basées sur les rotations sont les plus productives partout sur la planète.

 

Et les OGM ?

La situation est catastrophique. La superficie mondiale en maïs, soja, colza, coton génétiquement modifiés augmente de façon spectaculaire. La contamination par les OGM se répand, au détriment de la biodiversité. L’Inde a perdu ses variétés de coton locales, contaminées par les semences Bt. Ici, plus de 90 % du coton est OGM. C’est faux de dire que les rendements sont meilleurs. Le coton Bt n’est pas résistant aux maladies, certains nouveaux ravageurs sont apparus sur cette culture, comme les pucerons et jassides. Le ver de la capsule, que le coton Bt était censé contrôler, est devenu résistant et Monsanto a dû introduire une autre variété encore plus résistante aux insectes. Les paysans ne cessent de s’endetter pour les semences et les pesticides. Beaucoup ne le supportent pas. L’Inde a connu plus de 284 694 suicides d’agriculteurs en l’espace de 17 ans, entre 1995 et 2012.

 

L’agriculture biologique est-elle la solution ?

Pour moi, l’agriculture bio nous réapprend une fois encore ce que la nature peut faire pour nous ; la nourriture, c’est la vie, les semences sont la vie, et le sol aussi. La bio fait le lien. Les agriculteurs bio recherchent les meilleures plantes pour améliorer la fertilité, essaient de comprendre comment la nature travaille, les plantes poussent. Ils sélectionnent les meilleures variétés pour notre santé. C’est une agriculture de la paix contre la violence de l’agriculture chimique. Mais elle ne suffit pas, car il faut aussi changer de l’intérieur : nous devons être le changement que nous voulons dans ce monde, disait Gandhi. En changeant notre relation à la terre, aux semences, à notre alimentation, on arrive à ce changement intérieur.

 

Propos mis en forme par Christine Rivry-Fournier (1)

 

(1)   Ces propos ont été recueillis suite aux interventions de Vandana Shiva, invitée d’honneur de la Bio dans les étoiles, le 12 avril 2013 en Archèche à Peaugres, puis à Annonay.

 

 

Quelques dates…

1952 : (5 novembre) naissance à Dehradun (Inde)

1970 : début de doctorat à la Commission de l’énergie atomique (CEA)

1978 : doctorat de physique quantique à l’université de l’Ontario (Canada)

1982 : création de la Fondation de recherche pour la science, la technologie et la gestion des ressources naturelles.

1991 : création de Navdanya

1993 : prix Nobel alternatif

2002 : création de l’université des graines

2004 : victoire collective contre Monsanto et révocation du brevet sur le blé Nap Hal.

2005 : victoire collective contre Grace et révocation de son brevet sur le margousier

2012 : campagne pour la liberté des semences et contre les lois injustes de brevetage du vivant.

 

seedfreedom.in

navdanya.org

Vandana Shiva, victoire d’une Indienne contre le pillage et la biodiversitié, Lionel Astruc, Terre Vivante, 2011.

 

 

 

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