Gilles Daveau, cuisinier et formateur : “Se nourrir autrement”

 Féru de cuisine bio et alternative, Gilles Daveau anime des cours, stages et formations professionnelles. Fort d’une expérience de près...

 Féru de cuisine bio et alternative, Gilles Daveau anime des cours, stages et formations professionnelles. Fort d’une expérience de près de vingt-cinq ans comme cuisinier, restaurateur et traiteur certifié bio, il propose des clés pour se nourrir autrement.

 Votre manuel de la cuisine alternative est-il le fruit de votre expérience ?

Depuis 1987, j’explore la cuisine alternative autour des produits bio et des protéines végétales. Sensibilisé jeune à l’écologie, j’ai été restaurateur, traiteur certifié bio dans la région nantaise ; je donne des cours de cuisine dans les magasins bio, je forme des professionnels de la restauration collective… J’ai eu envie de transmettre toute cette expérience issue du terrain, afin de faciliter les changements d’alimentation devenus indispensables. Les enjeux environnementaux, sociaux et de santé publique nous le rappellent chaque jour.

 Il existe déjà beaucoup de livres de cuisine bio, pourquoi un nouveau ?

La grande majorité propose des recettes créatives dans l’imagerie de la gastronomie, répondant à une tendance lourde de retour à la cuisine comme hobby, tandis que la télévision traite aujourd’hui l’art de cuisiner avec violence, larmes et sanctions. L’approche ici est différente, basée sur une pédagogie du changement alimentaire, par la connaissance des techniques de base qui permettent d’inventer librement une cuisine simple et saine.

 Quelle est votre motivation ?

Je me suis rendu compte que les gens étaient toujours démunis face à leur façon de se nourrir. L’approche gastronomique ne donne pas les clés de la cuisine du quotidien, celle qu’il faut faire le soir après une journée de travail, même si on n’en a pas envie, celle qui doit aussi respecter un budget parfois serré, celle qui doit cependant ne pas être trop répétitive au risque de se lasser, et qui doit maintenir la famille en bonne santé…

 Quelle cuisine défendez-vous ?

Le projet d’une cuisine durable est d’abord de nourrir, et c’est un projet central pour la société. C’est en particulier la mission de la restauration collective. Dans ce secteur les professionnels ont été missionnés essentiellement pour faire vite, à coûts réduits, selon des règles strictes d’hygiène. Souvent, ils sont en souffrance, car leur métier est dévalorisé. Il faut redonner du sens à cette fonction nourricière et à son rôle pédagogique. Il existe des freins à lever, comme parfois l’indifférence du personnel enseignant qui peine à insérer l’alimentation dans les fondamentaux de l’éducation. La cuisine fait partie d’une démarche éducative globale.

Qu’entendez-vous par démarche globale ?

Se nourrir, c’est alimenter son corps avec des ingrédients de qualité et diversifiés, mais aussi ancrés dans le territoire et les saisons, issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement et des humains. Nous sommes construits de toutes ces dimensions qui nous donnent nos repères. D’où l’importance de progrès alimentaires dans les crèches, maternelles et écoles primaires. Et même si, à l’adolescence, les jeunes s’opposent pour se construire, adultes, ils seront conscients des enjeux.

Quel argument mettre en avant pour convaincre de manger bio ?

Il est vrai qu’utiliser l’argument “santé” qui, bien sûr, est valable, provoque un rejet dans 90 % des cas. Je l’ai vérifié maintes fois. Les personnes qui consomment bio uniquement pour protéger leur santé finissent par avoir peur de tout… mais ne sont donc pas forcément en meilleure santé ! L’approche globale intègre bien sûr la santé, mais comme une composante, qui fait partie du jeu, avec le plaisir gustatif, la convivialité, la satisfaction de contribuer à l’économie de proximité, à une agriculture et un environnement durable, au lien social… “Bio” signifie vie, la bio soutient activement la vie, et ce qui la favorise, sans artifices ni frustrations… Ce discours est plus cohérent, et convainc davantage, notamment les cuisiniers professionnels qui sont des partenaires essentiels pour développer ce mode de production.

 Donc, il faut éviter toute culpabilisation…

Je forme des cuisiniers aux quatre coins de France et je dois m’adapter à un public varié, parfois hostile au départ, et avec bien des a priori. La cuisine bio est perçue comme contraignante, inaccessible, fade, triste… Culpabiliser accentue les résistances. Mais quand ils se reconnaissent comme des acteurs positifs de l’éducation, et d’une alimentation “durable”, l’attitude change. Ils expérimentent des modes opératoires appropriés, qui valorisent les produits frais, de saison ou complets avec simplicité, ils découvrent dans la cuisine alternative une ressource et non une contrainte. Réduire les gaspillages, cuisiner l’intégralité des produits, diversifier les sources de protéines… deviennent des “plus”, des solutions pour valoriser la cuisine et maîtriser les coûts.

 Pourquoi encore si peu de bio dans les cantines ?

Effectivement, s’il existe de nombreuses initiatives, stimulées par l’objectif du Grenelle d’atteindre 20 % de bio en restauration collective pour 2012, on est encore loin du compte. Plutôt que de “saupoudrer” des ingrédients ou repas bio, il est important de planifier des objectifs progressifs et de donner du sens aux changements. C’est une “petite” révolution dans la gestion de la cuisine, notamment dans l’approvisionnement, en renouant les liens avec les agriculteurs ou les groupements de producteurs locaux. Tous doivent réapprendre à se parler, à se comprendre, à mesurer les contraintes de chacun… Quand j’étais restaurateur, il m’est arrivé d’être livré en oignons minuscules, à tailles de billes par un agriculteur qui ne se rendait pas compte de la surcharge de travail que cela m’occasionnait ! On aurait pu trouver ensemble d’autres solutions.

 Quelles sont les “recettes” à privilégier ?

La démarche globale nécessite aussi l’implication de tous les acteurs, enseignants, gestionnaires, élus, agriculteurs, notamment à travers les groupements, et aussi les parents quand c’est possible. L’exemple de Barjac dans le Gard, qui a fait l’objet du film Les enfants nous accuseront de Jean-Paul Jaud (accompagné par l’association Unplusbio dont je fais partie), illustre parfaitement la démarche. Et n’oublions pas les enfants : eux aussi doivent être impliqués pour comprendre comment on les nourrit, en leur faisant visiter les cuisines de l’école, une ferme bio, un élevage de poules ou de porc intensif, l’atelier d’un boulanger… Pour le maximum de cohérence, il est nécessaire d’élaborer une charte au niveau de l’établissement, qu’il soit scolaire, hospitalier ou d’entreprise. En identifiant le projet et en impliquant tous les acteurs, cette charte facilite les changements.

 Votre ouvrage est un outil au service de ce changement ?

Oui, car manger bio et alternatif implique aussi une remise en cause de ses habitudes. Il existe en bio de multiples ingrédients spécifiques, féculents, huiles, légumineuses, légumes anciens, graines de toutes sortes…, autant de produits oubliés ou inconnus pour la plupart des gens. Comment les accommoder, les associer, les faire cuire, les assaisonner, sans les dénaturer au niveau nutritif tout en exaltant leurs saveurs ? Quels rôles peuvent-ils jouer au quotidien, quels sont les modes de préparation validés par un professionnel de restauration ? Ce n’est pas un livre de recettes, mais plutôt de découverte de l’étendue des possibilités offertes.

 Vous prônez la diversité des sources de protéines ?

C’est un enjeu planétaire majeur. Je ne fais pas la promotion du végétarisme, mais nous devons varier nos sources de protéines, pour consommer plus raisonnablement, une viande de meilleure qualité. Certes plus chère, issue de filières extensives et durables, la viande alternera avec des repas à base de protéines végétales 4 à 10 fois moins coûteuses, et de bien moindre empreinte écologique. Pour cela, il faut réapprendre à valoriser ces ingrédients végétaux qui peuvent jouer un rôle central et rassasiant quand les associations sont vraiment complètes… et gourmandes.

 Propos recueillis par Christine Rivry-Fournier

 Comprendre pour changer

Gilles Daveau est persuadé que pour modifier ses comportements alimentaires, il faut comprendre non seulement d’où viennent les aliments, mais comment, crus ou cuits, ils agissent sur l’organisme, et comment obtenir le meilleur d’eux-mêmes. Son manuel est à la fois pédagogique et vivant.

Le manuel de la cuisine alternative, Gilles Daveau, Sama Éditions, illustré par Clément Luzeau, 128 p., 25 euros.

gillesdaveau.com

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